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Sur la piste

lundi 11 avril 2016, par Valentin.

Compte-rendu d’expérience.

Note 362-45.

Jour : j + [indéterminé].

Laboratoire:EILF2 — technicien expérimentateur : A.Z.

Observations principales :

Ils courent encore. Tous.

Certains (sujets A4563-G et A4472-B) s’étaient arrêtés quelques heures dans la nuit (observation effectuée à 03:55’), probablement par fatigue — ils ont repris leur progression au matin, à une allure normale (vitesse moyenne observée à 09:25’ : 2,8 mètres/seconde — moyenne sur 12 mois : 2,77 m/s).

Pas de décès constaté dans les dernières 24 heures. Les plus jeunes sujets (portées A4516 et A4483, âgés respectivement de 20 et 23 jours) courent maintenant aussi vite que leur mère, ce qui facilite l’allaitement. Le nombre de survivants pour chaque portée semble s’être stabilisé, portant les taux de survie respectif à 71 et 62% (moyenne sur 12 mois : 65%).

Alimentation : correcte (voir tableau annexe). Les graines disséminées la semaine dernière le long du parcours ont été consommées en quasi-totalité ; les expérimentateurs A.J. et C.E. ont renouvelé les points d’approvisionnement suivant le plan de disposition habituel. Même les zones de la piste rendues plus difficiles d’accès par des aspérités ou obstacles (zones D3, F3 et H5 de difficulté 12 ou supérieure) ont été explorées. L’ensemble des sujets est parvenu à trouver de la nourriture en quantité suffisante dans les dernières 48 heures. (Les sujets décédés en bas-âge constituant également une ressource alimentaire riche et essentielle, en particulier pour les femelles A4515-B et A4482-N qui ont récemment achevé leur gestation.)

Observations complémentaires :

Comme observé précédemment, les rats les plus vigoureux ou aventureux sont plus à même de trouver une nourriture de choix ; nos observations confirment également l’hypothèse d’une corrélation entre l’alimentation et le succès en matière reproductive (voir note 362-27). Les rats dont la stratégie alimentaire consiste à dérober les graines récoltées par d’autres sujets, semblent favorisés à ce titre — hypothèse de travail : la domination au sein du groupe favorise-t-elle l’attractivité sexuelle ? Davantage d’observations requises.

Aucun rat, depuis maintenant deux mois (et en particulier, aucun rat de la génération A4500 et ultérieures) n’a essayé d’emprunter le parcours en sens inverse, et aucune mesure de sanction n’a donc été requise.

Certains rats (notamment les sujets A4563-G et A4472-B précités) s’immobilisent parfois pendant quelques heures ; nous ne sommes pas parvenus à déterminer si ce comportement répond à la nécessité de prendre du repos (voire, dans le cas de femelles gestantes, de mettre bas) ou à des moments de réflexion, voire de questionnement sur cet environnement au trajet biscornu, fait de carton ondulé, de bois et de verre, qui leur tient lieu de cadre de vie.

(Cette dernière hypothèse a été formulée au semestre dernier — voir note 358-64 — par l’expérimentatrice V.L., qui ne fait actuellement plus partie de notre laboratoire. Cependant nous pouvons raisonnablement l’invalider : rien ne nous permet d’affirmer que certains rats s’interrogent parfois sur ce qui les pousse à continuer de courir, sans cesse, dans le même sens.)

Une question subsiste, toutefois, quant à certains paramètres initiaux du protocole expérimental : de quelle façon les sujets originellement introduits sur ce parcours ont-ils été incités à courir tous dans ce sens précis plutôt que dans un autre ? Certains expérimentateurs ont émis l’hypothèse qu’un stimulus olfactif (phéromones sexuelles ou odeurs alimentaires) avait pu être utilisé à l’origine, et se serait bien sûr entièrement estompé depuis longtemps. D’autres postulent que le phénomène a pu se produire de façon endogène, certains rats en ayant suivi d’autres et ayant fini par entraîner tout le groupe — qui s’est depuis lors, évidemment, dispersé le long de la piste, à plus forte raison à mesure que les générations se sont renouvelées et succédées, sans toutefois cesser de courir dans le même sens. Faute d’archives exploitables, nous avons cherché des interlocuteurs ayant été présents lors de la mise en place initiale de l’expérience (ce qui n’est le cas d’aucun des membres de l’équipe actuelle, ni même de nos prédécesseurs), mais n’en avons trouvé aucun.

Du reste, ce point précis importe peu et n’affecte en rien le résultat de l’expérience, quelle que soit sa durée — laquelle reste d’ailleurs à déterminer. Dès leur naissance, les rats savent qu’ils doivent courir et dans quelle direction générale aller ; non seulement parce que c’est là le seul objet de leur existence depuis plusieurs dizaines de générations, mais parce que le dispositif ne leur laisse de toute façon aucun autre choix. Ils n’ont besoin d’aucun appât, d’aucune promesse, d’aucune information sur ce vers quoi ils courent : ils courent, simplement. Tous.

Addendum :
À ce jour, aucun rat ne semble avoir remarqué que la piste est, en fait, circulaire.

(Avril 2016.)

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