Les bouleversements sociétaux à la pointe desquels se situe le mouvement Libre, entrent en collision non seulement avec un ordre établi (social, économique) mais aussi avec des modes de pensée. Ainsi, tout libriste a pu entendre, un jour ou l’autre, la réflexion typique du consommateur de base : « si ce logiciel est gratuit, c’est qu’il est sûrement moins bien que les autres ».
Déjà subtile en elle-même (la distinction Libre/gratuit en est un exemple), l’éthique Libre se complexifie exponentiellement dès lors que l’on quitte la sphère utilitaire pour la sphère esthétique : l’art et la culture. Intrinsèquement chargée de subjectivité et d’affects, la culture aujourd’hui subit de plus les conséquences des révolutions artistiques, formelles, langagières du XXe siècle ; c’est donc à un double manque de repères que doit faire face tout artiste ou auteur, à plus forte raison s’il fait le choix des licences Libres.
Dans un contexte aussi complexe, les croyances et les faux-semblants se multiplient. Ainsi, à la question du rapport gratuité/qualité, que nous évoquions, se superpose la distinction arbitraire amateur/professionnel — argument récurrent des opposants aux licences Libres et à la diffusion par Internet. Doit-on vraiment choisir entre être Libriste et être « pro » ? Se forme ainsi peu à peu un enchevêtrement de croyances, un bestiaire fantastique où l’artiste/auteur Libre doit s’orienter lui-même — car encore aujourd’hui, faire le choix du Libre en matière culturelle, c’est devoir se résigner à un isolement inévitable, plus encore que dans le logiciel Libre.
La présente intervention se propose de partir de ces quelques questions pour amener une réflexion plus large sur la place de l’artiste (Libre) dans la société actuelle, et de donner quelques pistes concrètes aux artistes et auteurs qui pourraient s’interroger sur les conditions, les modalités ou les conséquences du choix des licences alternatives. Elle s’adresse également aux développeurs et à la communauté au sens large, chez qui les questions de diffusion et, surtout, de création culturelle sont souvent méconnues et peu intégrées.
Messages
11 juillet 2011, 16:13, par Fortitude
Je suis assis juste en face de vous à la conf (call of duty) Ne serait il pas possible que la musique subisse la même mutation de l’art picturale a savoir elle est dans l’époque de sa reproductibilité. Et au delà de cela, l’art n’est il pas en train de se déprofessionaliser ?
18 juillet 2011, 23:57, par Valentin Villenave
Bonjour Call of Duty/Fortitude,
Je suis d’accord avec vous pour dire que la reproductibilité de la musique est un facteur important de mutation — mais sans oublier toutefois que les pratiques musicales relèvent aussi beaucoup du « spectacle vivant », que l’on ne reproduit pas seulement de façon mécanique mais également en le réinterprètant.
Dire que l’art est en voie de « déprofessionnalisation », ce serait oublier la façon dont l’art a été pratiqué autrefois. Pour parler du domaine de la musique, les morceaux qui étaient autrefois réservés aux jeunes pianistes « professionnels » sortant du Conservatoire de Paris sont aujourd’hui couramment demandés à des élèves de 13-14 ans dans des conservatoires régionaux... C’est dire que le niveau technique (notamment du fait de l’exigence des enregistrements en studio, que nous avons tous dans l’oreille) a énormément augmenté. Si « déprofessionnalisation » il y a, je pense que c’est surtout notre propre regard qui change, et notre conception (encore une fois, très récente) de ce que « devrait » être un artiste professionnel qui est en train de se désenfler et de perdre son côté sacré. (Ce qui, selon moi, est une très bonne chose.)
En tout cas merci d’avoir assisté à ma causerie ; je prépare une série d’articles ici-même pour y faire suite donc nous aurons peut-être l’occasion de poursuivre cette discussion !
24 juillet 2011, 21:56, par Stéphane Drouot
désolé de l’intrusion, Valentin, mais il m’est totalement impossible de t’envoyer des mails depuis quelques jours...